Communication Protection International
En Afrique et dans le monde entier, un nombre croissant de pays élaborent des lois pour la protection des défenseur.es des droits humains (DDH) et de leur droit de défendre les droits humains (DDDH). Nous saluons cette évolution, qui constitue un premier pas important vers la reconnaissance du rôle positif que jouent les DDH dans la promotion des droits humains, des valeurs démocratiques et de la justice sociale. Ces politiques publiques contribuent également à créer un environnement favorable au droit de défendre les droits humains, en particulier dans les pays et les régions où les DDH sont fréquemment pris pour cible en raison de leur travail.
La Loi n° 23/927 relative à la protection et la responsabilité du défenseur des droits de l’homme en République démocratique du Congo, adoptée le 15 juin 2023, reconnaît le contexte difficile dans lequel les DDH opèrent dans le pays. Elle déclare, dans son avant-propos, que ce contexte « rend nécessaire l’existence d’une loi relative à sa protection ». Elle ajoute que « ces mesures garantissent aux défenseurs des droits de l’homme et des libertés fondamentales un environnement propice à l’exercice de leurs activités sans crainte d’actes de violence, de menaces, de représailles, de discrimination, arrestations et détentions arbitraires et d’autres persécutions de la part de l’État ou des acteurs non étatiques ». Nous saluons à la fois la reconnaissance par l’Etat de l’environnement difficile de la RDC pour les DDH et sa volonté de développer des mesures concrètes pour faire de cet environnement un environnement dans lequel le droit de défendre les droits humains peut être apprécié et exercé librement.
En ce qui concerne les dispositions de la loi, nous nous réjouissons que plusieurs principes conformes à la Déclaration des Nations Unies sur les DDH aient été pris en compte lors de son élaboration.
Tout d’abord, la loi inclut une définition compréhensive des DDH dans son article 2.4(a), définissant les DDH comme « toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, qui œuvre pour la protection et la promotion des droits humains », et reconnaît les besoins spécifiques de protection des femmes défenseures des droits humains (article 6). L’inclusion des collaborateur·rices et des membres de la famille des DDH dans la protection (article 14) est également positive.
Il convient de noter que la loi prévoit la possibilité pour les DDH d’obtenir un financement de la part de donateurs nationaux et internationaux (article 5), et qu’elle attribue à l’État la responsabilité de lutter contre l’impunité (article 15) tout en confiant la responsabilité de la protection des DDH aux autorités politiques et administratives (article 16).
La définition de la « protection » est moins compréhensive : un « ensemble de mesures concrètes qui permettent de faire bénéficier aux personnes ou groupes de personnes des droits et des secours prévus par la Constitution, les conventions internationales, les lois et règlements ; » (article 2.6). Bien qu’il mentionne comment les mesures de protection doivent « aux personnes ou groupes de personnes des droits et des secours prévus par la Constitution, les conventions internationales, les lois et règlements », l’article ne mentionne pas les besoins spécifiques des personnes et des groupes de personnes. Elle ne fait pas référence aux besoins et exigences spécifiques des DDH dans le pays en raison de leur travail. Elle ne précise pas non plus que ces mesures doivent être adaptées aux besoins, au contexte et à la situation spécifique de chaque DDH ou organisation afin de leur permettre d’exercer leur travail dans un environnement propice à l’exercice du droit de défendre les droits humains.
En outre, à la lumière du contexte difficile dans lequel les DDH opèrent dans le pays, la loi contient plusieurs dispositions qui présentent un risque significatif pour les DDH, en restreignant fortement la mise en œuvre de la loi et en ouvrant la voie vers la criminalisation des DDH. Nous sommes extrêmement préoccupé·es par ces dispositions et appelons au réexamen des éléments suivants :
- L’obligation des DDH de s’enregistrer et de presenter un rapport annuel. Alors qu’une politique de protection devrait se concentrer sur les droits des DDH et les obligations des détenteur.rices de devoirs, cette loi contient plus d’articles relatifs aux « obligations » des DDH qu’à leurs « droits ». Nous sommes particulièrement préoccupé.es par l’obligation pour tous.tes les DDH de s’enregistrer administrativement (article 7) et de rendre compte de leurs activités chaque année (article 11). D’autres dispositions renforcent la nature restrictive de ces articles, créant un risque significatif pour les DDH et une condition déraisonnable à leur protection.
Le droit de défendre les droits humains peut être exercé de nombreuses manières, notamment par une mobilisation spontanée ou en réponse à des événements spécifiques. Cependant, l’enregistrement obligatoire va à l’encontre de cet objectif. En outre, il représente un risque important pour les DDH en RDC: un registre compilant les noms, adresses et autres détails personnels des DDH pourrait être utilisé par des acteur.rices étatiques et non étatiques mal intentionné.es pour nuire physiquement ou moralement aux DDH.
Une autre préoccupation liée à cette obligation d’enregistrement est de nature plus pratique, car les DDH dans les zones rurales ou les défenseur.es plus marginalisé.es pourraient ne pas avoir accès aux points d’enregistrement, ce qui les empêcherait de se conformer à la loi et d’exercer leur travail en matière de droits humains en toute légalité.
Nous pensons également que l’obligation pour les DDH de rendre compte annuellement de leurs activités au gouvernement (article 11) crée des risques supplémentaires pour les DDH. En plus d’être lourde et chronophage pour les DDH, cette exigence ne semble ni justifiée ni nécessaire pour garantir leur sécurité. Selon le niveau de détail de ces rapports, ils pourraient être utilisés pour créer des dossiers ou une « liste noire » d’individus ou d’organisations qui s’engagent dans la défense de droits spécifiques ou promeuvent des activités qui pourraient être interprétées comme remettant en question les normes et traditions socioculturelles acceptées, ou même les intérêts économiques ou privés des acteur.rices étatiques et non étatiques.
- Des articles ambigues sont susceptibles de donner lieu à des interprétations erronées. L’article 8 pourrait être mal interprété et utilisé pour accuser les DDH qui critiquent vivement le gouvernement, la police, les forces armées ou d’autres institutions de l’État de porter atteinte à la souveraineté nationale. De même, les DDH qui défendent les droits des minorités ethniques pourraient être accusés de travailler contre l’unité nationale ou l’intégrité territoriale de l’État.
Une ambiguïté similaire se retrouve dans l’article 9, qui mentionne que les DDH sont tenu.es “au respect des bonnes mœurs ». La subjectivité du terme « bonnes mœurs » ouvre la porte à des interprétations partiales et arbitraires, permettant potentiellement aux autorités de justifier illégitimement les atteintes au droit de défendre les droits humains. De telles dispositions pourraient être utilisées à l’encontre des défenseur.es des droits humains travaillant sur des questions qui peuvent être socialement controversées mais qui sont toujours protégées par les principes des droits humains, telles que les droits sexuels et reproductifs, les droits des femmes, les droits des LGBTQIA+ (ou SOGIESC), les droits des personnes en déplacement, etc.
- L’absence d’une approche préventive de la protection des DDH. Nous sommes préoccupé.es par l’absence de mesures préventives dans le chapitre III sur les » Des obligations et de la responsabilité de l’État » en ce qui concerne la protection des DDH et leur droit de défendre les droits humains. Ce chapitre se concentre exclusivement sur les obligations de l’État dans des scénarios où des incidents ont déjà eu lieu, mais ne mentionne pas les mesures visant à prévenir de tels incidents. L’article 18 n’établit pas suffisamment les obligations et responsabilités spécifiques des institutions publiques responsables de la protection des DDH. Un manque de clarté sur qui est responsable de la protection des DDH, ainsi que sur quand et par quelles actions, peut conduire à une confusion généralisée concernant les obligations et responsabilités spécifiques de chaque institution publique. Cette clarté est essentielle à la mise en œuvre, à la responsabilisation et au suivi effectifs des obligations des détenteur.rices de devoirs de défendre le droit de défendre les droits humains pour tous.tes.
Mesures insuffisantes pour un mécanisme de protection. Nous sommes également préoccupé.es par le fait que le chapitre IV sur le mécanisme de protection des DDH n’inclut pas suffisamment de mesures et de détails pour guider la création d’un mécanisme de protection efficace. Il ne comprend que deux articles pour le développer, se concentrant uniquement sur la prévention de la persécution des défenseur.es des droits humains pour leurs opinions ou leurs rapports, et sur l’interdiction de perquisitionner leurs maisons ou leurs bureaux sans un mandat judiciaire en bonne et due forme. Nous demandons l’élaboration d’un règlement définissant clairement la composition, les fonctions, les obligations et la responsabilité d’un tel mécanisme. En l’absence de clarté sur ces éléments, les dispositions de la loi relatives à ce mécanisme de protection n’atteindront probablement pas leur objectif.
- Manque de clarté et d’objectivité des dispositions pénales. Le chapitre VI “des dispositions pénales” est une source majeure de préoccupation. L’espace important occupé par ce chapitre souligne une fois de plus l’approche excessivement réactive de la loi 23/027, négligeant les nombreux avantages d’une approche plus préventive. Tout en reconnaissant que diverses sanctions sont prévues pour ceux qui violent les droits des DDH, nous sommes préoccupés par les articles 26, 27 et 28, qui se concentrent excessivement sur les sanctions pour les DDH.
Outre le fait que de telles mesures punitives ne conviennent pas à une loi visant à protéger les DDH, les dispositions manquent à la fois de clarté et d’objectivité et pourraient donc être utilisées injustement pour étouffer les DDH et entraver l’exercice du droit de défendre les droits humains. Les concepts de « diffamation » ou de « calomnie » peuvent être utilisés de manière partiale et intéressée pour nuire aux DDH ou entraver leur travail. En outre, les amendes prévues comme sanctions semblent disproportionnées et excessives. Il est peu probable que les DDH puissent jamais se permettre de payer de tels montants, tandis que les auteur.rices habituel.les d’attaques contre les DDH, qui disposent généralement de ressources financières plus importantes et parfois d’un soutien politique, ne trouveraient pas les sommes spécifiées comme un moyen de dissuasion significatif. Dans le même temps, nous ne pouvons manquer de mentionner que l’article 22, qui prévoit des peines de prison à vie pour les auteurs qui tuent un.e DDH, pourrait être considéré comme excessivement strict du point de vue des droits humains.
En résumé, si certaines dispositions de la loi 23/027 peuvent être considérées comme des avancées positives, telles que la définition large des DDH et la reconnaissance explicite de la nécessité de mesures visant à garantir aux DDH un environnement propice à leur travail, nous pensons que des modifications significatives sont nécessaires pour que cette loi garantisse réellement que les DDH et des libertés fondamentales disposent « un environnement propice à l’exercice de leurs activités sans crainte d’actes de violence, de menaces, de représailles, de discrimination, arrestations et détentions arbitraires et d’autres persécutions de la part de l’État ou des acteurs non étatiques ».
[1](1998). Declaration on the Right and Responsibility of Individuals, Groups and Organs of Society to Promote and Protect Universally Recognized Human Rights and Fundamental Freedoms. General Assembly. https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/declaration-right-and-responsibility-individuals-groups-and