RDC: Entretiens avec les acteurs clés sur les politiques publiques pour la protection des défenseur.e.s des droits humains en Afrique. Olivier Ndoole

Olivier Ndoole est un défenseur des droits humains, mais également un défenseur des défenseur.es. Il se spécialise dans les droits de l’environnement et les droits fonciers. En 2008, il a cofondé l’Alerte Congolaise pour l’Environnement et les Droits de l’Homme, une organisation de plaidoyer, alertant sur les abus liés au droit de l’environnement, au trafique illicite d’animaux et de ressources naturelle, et aux droits fonciers. Il fait partie des avocats verts, un groupe d’avocats travaillant sur la protection du parc Virunga et ses habitant.es..

Megan Thomas. Décembre 2023

Qu’est-ce qui vous occupe en ce moment, quelles activités principales êtes-vous en train de mener en ce moment en tant que défenseur de droits humains ?

Au fait, moi je suis non seulement défenseur de droits humains mais aussi avocat. Je travaille dans le domaine de l’environnement, c’est-à-dire la justice climatique mais aussi l’accès à la terre. En tant qu’avocat, j’assiste en justice les défenseurs ruraux qui défendent les droits fonciers des communautés locales et également aussi les défenseur.es de l’environnement.

Le défenseurs de l’environnement sont nombreux à l’est de la RDC et ils font face à plusieurs difficultés, non seulement avec les groupes armés mais aussi avec les gouvernements, avec la question de l’exploitation du pétrole et avec des sociétés multinationales qui menacent et qui font en complicité avec certains magistrats des arrestations des défenseurs.

Je travaille également sur la question de la réforme foncière en RDC et la mise en place de la politique nationale énergétique en RDC. Depuis 2008, on a mis en place l’Alerte Congolaise pour l’Environnement et les Droits de l’Homme (ACEDH), qui est spécialisée dans la lutte contre le trafique de la faune et flore sauvages autour de la ville et du paysage de Virunga. À travers les avocats verts, nous assistons en justice pour protéger les parcs de Virunga mais on travaille également pour donner un appui juridique et judiciaire en faveur de défenseur.es des droits fonciers et de l’environnement.

C’est pour cette raison qu’on était en train de faire le suivi du processus autour de la loi nationale pour les DDH et nous étions la première organisation à agir, lors de sa proposition de cette loi, sur certains articles. Lorsque la loi est sortie, bien que certaines organisations internationales aient salué la loi, nous étions les premiers donc à lever une voix dissidente par rapport à cette loi.

Qu’est-ce que vous avez mené jusque-là comme action concernant les limitations de cette loi?

En premier lieu, on avait donné une note de positionnement par rapport à la proposition de loi que nous avons envoyé au niveau du Sénat et au niveau de l’Assemblée. Là, on épinglait déjà certains articles qui étaient contraires par rapport à la protection des défenseur.es des droits de l’environnement et de défenseur.es des droits fonciers. Nous avons donc envoyé cette note de positionnement au niveau national comme au niveau des acteurs, au niveau des provinces. On a fait des actions de lobby, on a eu des réunions l’ambassade des Pays-Bas par exemple.

Avant la promulgation de la loi, il y a eu des organisations qui nous ont proposé du soutien. Parce qu’ils ont compris que, par rapport à tous les défenseurs de l’environnement, nous étions la seule organisation qui avait alerté et qui sollicitait à ce que nos éléments – comme nous ne sommes pas impliqués dans les groupes de travail – que nos éléments soient retenus par eux qui sont dans les groupes de travail par rapport à la loi. Ils nous avait partagé une note où ils voulaient faire appel à l’analyse au niveau du parlement. . C’était un draft où nous avons intégré nos éléments, mais apparemment ils ont eu l’information que la loi était déjà promulguée. Ils ont stoppé la note qu’ils nous avaient partagée. On a posé des questions et c’est juste trois jours après qu’on a vu la loi promulguée et diffusée au niveau du journal officiel.

Après, il y a eu des organisations comme les amis de Nelson Mandela à Kinshasa qui ont salué l’initiative. Il y a eu un atelier à Kinshasa avec Avocats sans Frontières qui ont félicité, remercié les autorités. Et nous, nous avons donné une contrevoix au niveau de Goma pour dire que les résultats qui viennent de sortir de cette loi n’étaient pas les résultats envisagés par les défenseurs. J’ai eu à discuter avec certains de ces organisations pour leur communiquer ces préoccupations.

Et on avait encore une réunion au niveau du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme à Goma. C’était deux jours après la promulgation de la loi. Il y avait des défenseurs qui disaient que nous avons déjà une Bible, une loi, qu’il fallait se l’approprier. Moi je leur ai dit que nous n’avons pas encore la loi que nous souhaitons avoir. Je leur ai cité les articles qui sont très dangereux par rapport à cette loi-là, notamment l’article 2, l’article 3. Par exemple, l’article 7 et 11 combinés avec l’article 26, 27 et 28, vident l’essence même d’une loi de protection et d’une loi de promotion des droits et libertés des défenseurs.

Quels sont les dangers principaux de cette loi pour les défenseur.es ?

Nous serons déjà poursuivis pour manquement aux devoirs qui sont formulés dedans. Les soi-disant devoirs de la loi, ce sont plutôt des conditions pour exercer les activités des défenseurs des droits humains.  Parce que si c’était des devoirs, on devrait mettre des devoirs envers les communautés locales pour lesquels il ou elle travaille. Par contre, ils ont seulement mis qu’il a le devoir de s’enregistrer, obtenir une carte d’identification nationale et déposer un rapport chaque année au niveau du ministère de la justice au niveau national et au niveau de la commission nationale des droits humains.

Beaucoup de paysans qui risquent leur vie pour la défense des droits fonciers des communautés locales au niveau de la base, ils n’ont pas étudié et ils ne savent pas faire des rapports. Automatiquement, par cette loi, ils n’ont plus le droit de défendre les droits humains parce qu’ils seront poursuivis pour exercice illégal de cette profession. Nous estimons que la défense des droits de l’homme ce n’est pas une profession comme moi quand je suis avocat, par exemple (je dois avoir la carte d’avocat pour laquelle je dois remplir certaines obligations, etc.). Et même si on considère la défense des droits humains comme une profession, on ne pourrait pas être poursuivi directement. Si on a un manquement par rapport à un devoir, on devrait mettre en place un ordre national pour les défenseur.es qui devrait prendre des mesures par exemple administratives, des mesures disciplinaires, avant d’être poursuivi. Mais si vous lisez l’article 27 et 28, une ONG qui ne satisfait pas aux obligations, on met des infractions qui n’existent même pas.

D’autres qui sont prévus déjà par le code pénal : toute personne peut être poursuivie s’il a violé la loi. Ce n’est pas nécessaire que ça apparaisse dans la loi sur les défenseurs, mais comme ça apparaît là, cela veut dire que ça devient une infraction spécifique. Par exemple, la loi inclut la diffamation. C’est-à-dire que si on publie un rapport, on sait en RDC que les autorités détournent. C’est-à-dire si tu publies un rapport par rapport au détournement, il

vont dire « voilà, c’est une diffamation, vous serez poursuivi » sur base d’une loi qui est censée nous protéger. Et donc, pour moi, j’estime que la bonne intention pour cette loi, c’est le fait qu’il y a le titre là, « loi portant protection des défenseurs ». Mais en réalité, à l’intérieur, il n’y a pas une protection.

Donc pour nous, on estime que, et nous vous remercions quand même d’avoir mené cette analyse parce qu’on a sollicité beaucoup d’organisations internationales. On a compris que certaines organisations qui ont soutenu surtout les processus, ils sont un peu dubitatifs, ils veulent démontrer que c’est une avancée parce que c’était une demande au mécanisme de l’examen périodique universel. Mais on a besoin d’une loi qui nous protège, et pas d’une loi qui institue un mécanisme pour nous poursuivre. C’est pour cela que dans les semaines qui arrivent, nous allons saisir la Cour constitutionnelle. Par rapport à certaines dispositions, nous sommes en train de rédiger notre requête.